Petit sorcier à l’arc – grotte des trois frères

Pour plus de clarté j’ai développé toute cette recherche sur le site petitsorcier.eu

Ici c’est le fil de ma pensée depuis le début de ma recherche.

Mon point de vue ici est purement artistique. Après la visite de la grotte de Chauvet et la découverte du travail de Marc Azéma sur la naissance de l’animation à la préhistoire, j’ai voulu continuer mon exploration de la suggestion du mouvement dans la sculpture.

Le travail de Julien d’Huy sur les cosmogonies a aussi beaucoup orienté mes impressions concernant l’aventure de ce petit sorcier, le travail de Jean-Loïc Le Quellec qui passe entre autre par l’aérologie des mythes est très parlante aussi..

Je suis sculpteur, et n’en ai pas leur méthodologie d’un archéologue. Mon propos est vraiment d’explorer ce petit sorcier en interrogeant uniquement la forme. Est-ce que la forme définit une fonction?

Ce dessin pariétal de la grotte du Volp en Ariège nourrit bien des suppositions quand à sa fonction. Alors… danseur? chamane? musicien? gardien de troupeau?…

Première tentative d’animation reprenant tous les traits du petit sorcier dansant.
hologramme petit sorcier

un hologramme tout simple permet de le voir danser sans apesanteur comme dans sa caverne.

Modelisation de l’élan et la bisonne qui se trouvent devant le petit sorcier

La difficulté est de trouver des images les plus fidèles possibles. On ne détient que des dessins réalisés par l’abbé Breuil in situ. Son dessin a été recopié par d’autres, et les détails ne sont pas les mêmes.

Modélisation en rapport avec les dessins

J’ai tenté une recomposition en superposant ces différents dessins et leurs différents niveaux d’interpretation.

Cette mise en relation des dessins et reproductions : Abbé Breuil en bleu, retranscription de Geidon en fuchsia et autre dessin de Henri Breuil publié dans les Comptes rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres *2 en vert
; montre bien les différences de proportion et d’interpretation qui peuvent rendre difficile une translation en volume.

Passage à la 3D

Le passage à la 3D permet mieux comprendre et de résoudre certaines questions formelles comme la position des jambes, le morphing d’un état à un autre…

J’ai utilisé le logiciel 3D Blender logiciel qui offre une large gamme de possibilités en modélisation, texture, effets speciaux, animation…. la liste est trop longue.

Dans un premier temps je modelise le petit sorcier, lors du passage en volume certaines impossibilités anatomiques apparaissent et amènent leur lot de questions et de possibles pistes.

Dans un deuxième temps j’explore la possibilité de « passage » du sorcier vers l’animal. La nature anamorphosique du personnage.

Danse

Danse

Cette fonction de miroir appliquée sur diverses positions des deux jambes donne déjà à voir la possibilité d’une danse.

En ajoutant la musique issue des recherches de Guy Thevenon on se projette dans le moment. A la fin de l’interview de Guy Thevenon (audible tout à la fin).

« La position de cet homme prouve qu’il exécute un mouvement de giration sur lui-même, réalisé par un piétinement de plain-pied« , nous informe le danseur Gilbert Mayer en 1997*1. Le volume déterminé par le dessin ne montre pas forcément de giration sur soi, mais est à explorer plastiquement pour en vérifier sa faisabilité uniquement renseignée par les traits du dessin.

Il y a une explication sur le maître des animaux dans une conférence de Jean-Loïc Le Quellec (l’entièreté de la conférence est passionnante, mais si l’on veut juste ce qui concerne le maître des animaux il faut aller à 58’09 plus précisément).

On y apprend qu’une danse est rituellement effectuée par l’officiant pour que les animaux puissent sortir de terre et permettre à l’homme descendant du mythe de l’émergence (écouter toute la conférence)de pouvoir manger pour vivre.

Cette danse est encore pratiquée de nos jours par des nab’eysil en Colombie dans des grottes qui sont des maisons recréant l’entrée du monde

Respiration

Respiration

Le dessin du petit sorcier montre clairement 3 positions du torse évoquant une forte respiration

interpretation du mouvement des membres et du torse
Autre interpretation des mouvements en vue de profil

Au niveau du torse,

on apperçoit clairement deux grandes positions de la cage thoracique.

Les traits intermédiaires montrent eux au moins deux autres positions pour la cage thoracique, et au niveau du ventre, la possibilité d’une respiration ventrale accélérée.

Respiration ventrale ?

Les multiples traits situés au niveau de l’abdomen, laisse supposer une respiration ventrale accélérée.

Mon amie et professeure de yoga Alba Martin Lataix m’expliquait qu’il y a deux respirations ventrales type :

Kapalbhati: « le crâne lumineux » qui est une respiration envoyant l’energie reliée à la kundalini vers la tête « qui fait devenir brillant ». qui pompe l’energie du bassin pour l’amener vers la t^te, respiration presque naturelle dans les crises d’angoisse, entrainant de gros mouvements du diaphragme, et que même les animaux pratiquent. cette respiration peut provoquer la transe.

Bhastrika : se caractérise par un abdomen gonflé, à l’instar de Kapalbhati. Elle signifie « soufflet de forge » respiration bruyante presque animale, elle correspond à celle appelée du petit chien utilisée pour les accouchements, ou appelée respiration du taureau. Elle n’est donc pas assimilée à une respiration d’homme humanisé, mais d’homme animalisé. C’est aussi une hyper-ventilation qui donc peut provoquer la transe. Sur ce dessin la représentaion du souffle est « en boomerang » au niveau du nez. Elle est accompagnée de mouvements énergique des bras.

Pour la deuxième respiration, j’ai préféré incliner le torse afin de rester en cohérence avec l’accroche du bras.

Position du torse qui prendra tout son sens avec le travail sur une forme dessinée devant le sorcier. J’aborderai cette question dans un chapitre suivant.

L’arc à bouche

l’arc

La question de l’arc a fait couler plein d’encre. En modélisant l’arc on voit clairement qu’il n’est pas tenu par la main. La superposition des lignes n’est pas vraiment une référence mais la main a deux positions et l’arc n’en a qu’une. D’autre part l’arc part des narines et non de la bouche. Les reconstitutions d’instruments préhistoriques nous laissent des mélodies puissantes, mais il ne semble pas que se soit un arc à bouche, ni même une flûte.

arc ou souffle?

La possibilité d’un arc ne semble pas pertinente, malgré la magnifique mélodie recréée par Guy Thévenon la position de l’instrument en question n’a pas de cohérence dans l’espace. La main ne tient rien. La forme semble sortir des naseaux…

Esprit ?

Esprits

Lorsque l’on observe l’animal femelle placé devant le petit sorcier, on distingue une forme qui s’élève de son arrière train.

Cette petite forme semble s’élever de la vulve de la bisonne.

Malgré tout la forme ne ressemble pas à une naissance. On dirait presque un personnage, deux jambes se distinguent. Mais l’aspect correspondrait plus à un spectre, un esprit. Cette déduction semblerait se consolider lorsque l’on observe d’autres formes alentour qui sont similaires.

Cette mise en relation a déjà été démontrée par Alain Testart -« Art et religion de Chauvet à Lascaux »-Gallimard

La forme qui s’étend devant le petit sorcier et qui ressemble à un bras, aussi dans une certaine mesure à « l’esprit » qui s’élève de la vulve de la bisonne.

Forme qui semble être un morphing due petit esprit, et qui m’amène à penser que le supposé arc est peut-être encore cette même forme.

Cela serait alors le souffle du petit sorcier. Ce que confirmerait les traits désignants une hyper-ventilation au niveau du ventre. Les deux jambes du petit esprit, pourraient être « nées » des narines du petit sorcier.

Vue des trois formes respiration-esprit entre l’animal et le sorcier

Les trois formes qui partent du sorcier vers l’animal semblent cohérentes entre elles.

Ce n’est pas si évident avec les formes sur le dos de l’animal.

C’est surtout la forme la plus proche du dos qui pose question. Sa transformation demande beaucoup plus d’interprétation, c’est bien moins fluide que la transition entre la forme qui s’élève de la vulve et celle qui vient voler au dessus du dos.

Les indications dessinées semblent plutôt suggérer une insertion presque frénétique dans le corps de l’animal en entrée ou bien en sortie…

Sur cet os de renne perforé de Teyjat on peut imaginer comment un « Sorcier/Chamane » peut aussi se transformer en animal.
Os de renne perforé abri de Mège Teyjat. Dessin S.Reinach d’après Duhard. * 3

Notre vision change selon le mode de représentation.

Première recherche d’animation. J’ai gardé tous les éléments présents pour avoir l’ensemble des données visuelles.
Version animée des formes au dessus de la bisonne.

Déplacements du sorcier

Ici certains traits suggèrent un déplacement mutation du sorcier humain en animal.

Cette vue pourrait évoquer une tête déformée avec un corps en mutation.

La première patte apporte quelques ressemblances avec les pattes palmées de l’élan.

S’il y a déplacement du sorcier en tant que corps en mutation, cela ne gène en rien la possibilité de la métamorphose de la petite forme s’élevant de la bisonne. Ces deux mouvements peuvent être concomitants. Cette mutation comporte des pattes, une tête et des poils. Ces poils pourraient être ceux que le sorcier semble porter comme une cape. Ainsi la théorie du déguisement proposée par (Ph.Jerôme- en 2005) : « le premier déguisement de carnaval serait celui d’un sorcier /… / C’est un homme revêtu d’une peau d’animal qui exécute une danse mystico-religieuse. Il entre en communication avec les esprits pour faire cesser l’hiver, faire revenir les beaux jours qui permettent à l’agriculteur, à l’éleveur de nourrir sa famille et son bétail.« *1

L’histoire de la peau de bête sera l’occasion d’un chapitre particulier. En effet elle a longuement été exploré par Julien d’Huy dans diverses publications, et au regard de ce petit sorcier, elle peut apporter bien des éclaircissements.

On pourrait même imaginer que la fusion de l’esprit et du corps se fasse au moment de cette rencontre.

Voilà comment le sorcier peut se métamorphoser en bisonne
La forme intermédiaire mutante du sorcier vers la bisonne.

Ces deux dernières vidéos montrent la mutation de sorcier vers la forme de la bisonne. La dernière correspondant à la forme dessinée intermediaire aux deux protagonistes.

La vidéo de la mutation paraît moins convaincante. Pour ma part je pencherais pour une évocation de la métamorphose des corps par la position du sorcier debout vers le quatre patte. La peau de bête qu’il porte sur le dos, la queue « postiche » selon (Ph.Jerôme- en 2005) *1, semble plus probable.

Il y aurait donc deux grandes directions : 1- le souffle qui devient esprit et, 2 – le mouvement de translation du corps du sorcier en position d’animal à quatre pattes.

La pelisse

un élément à ne pas négliger.

Il est aussi question de la peau de bête sur le dos du personnage. Il ne perd pas forcement son statut de sorcier, mais incarne plutôt celui du chasseur.

Assimilé à un chasseur, le personnage s’approche à 4 pattes vers un troupeau en tenant un arc dans sa main. Il porterait une dépouille animale, une fausse queue ainsi qu’un possible masque.

Cette théorie est developpée dans le document de Jean-Loïc Le Quellec « Perceptions et attentes dans les études d’art rupestre »

Ce qui est interessant avec cette position à 4 pattes c’est qu’elle fait echo la pelisse placée au dessus du premier animal

Lorsque l’on observe les deux tel que le propose le dessin on peut « lire » une continuité dans le mouvement, et imaginer que le sorcier vient prendre place « en l’animal ».

Du dessin à la sur-interpretation

Le dessin de l’Abbé Breuil et celui de Geidon
la transcrition de Geidon

Il y a tant de possibilités, regardons la « main-patte », y a t’il deux positions? La partie avancée devant les bras est elle, un bras dans une autre position, une cavité du mur, une forme spirite?….

Quelques éléments semblent être stables et ne pas donner sujet à plusieurs interpretations : les cornes, la pelisse, la queue animale, la tête animalisée, la forme en arc qui sort des naseaux- ce qui est d’ordre animal en somme.

Sophie TYMULA a développé une méthodologie de recherche autour de cette thématique de l’interprétation de relevés, poussant une analyse fine autour des traits et de leur superposition. *3 -p133

fig 19-p 12 – Evolution du sorcier selon differents relevés Tymula/Breuil

Quelle possibilité sinon les explorer toutes lorsque la photo, mieux la photogrammetrie n’existe pas.

J’ai rencontré cette sur-interprétation quand j’ai animé le déroulé du bâton de Teyjat. Je suis partie de ma decouverte de ce dessin exposé plus haut. Je n’avais que le dessin, et j’ai imaginé les trous en pointillé comme étant une évocation de naissance, l’un étant une lunaison, l’autre une naissance….. Quelle ne fut pas ma surprise de savoir qu’il ne s’agissait pas d’une plaquette, mais d’un bâton et que les pointillés étaient la représentation de trou traversants l’os…

du dessin au déroulé
du déroulé au bâton percé

Voilà qui est assez explicite et peut donner une variation d’interprétations telle que celles-ci :

J’avais même imaginé que ce qui dans plusieurs documents est assimilé à une aile d’oie, était une symbolisation du temps de gestation, une sorte de calendrier.

https://youtu.be/wF0e1msps3w
Voilà l’autre interprétation en 3D (Blender) qui est juste un déroulé séquentiel des differents déplacements et étapes du chaman au cheval. (Reste un petit problème de mapping de texture à résoudre)
https://youtu.be/0pEyADmNGFs

Ces différentes vues d’un même objet et ce qui le constitue amène l’idée d’une interprétation subjective selon notre degré de compréhension. Dans quel sens se fait le déplacement du sorcier, pourquoi le point de départ du cheval ne montre que la moitié de son corps, tout détail fait sens pour l’artiste qui a pris se long temps pour graver un évènement suffisamment prégnant pour qu’il donne lieu à une représentation mobile.

Ces possibilités offertes par le manque d’information, sont pour moi importantes . La plupart d’entre elles peuvent être écartées favorisant ainsi une direction d’interprétation par élimination.

D’autre part mon choix d’interpréter uniquement ce que propose le dessin et la forme pallie certes à mon manque de connaissance de ce domaine de la recherche, mais me donne une certaine liberté. Mais mes lectures me permettent au fur et à mesure d’affiner mes ressentis. Le fil de ce blog rend compte de l’évolution de ma pensée. Je mène ce travail avec un véritable plaisir et ne me donne pas de limite à ces explorations.

J’avoue être, comme beaucoup de chercheurs m’ayant précédés, être un produit de mon époque et tenter de faire coïncider mes découvertes dans le sens que je veux leur donner.

Ainsi vais-je dans la direction la vision d’une transe chamanique mettant en scène la transmutation, ou plutôt les différents niveaux de transmutation (physique, et sur un plan subtile).

Contexte

Le petit sorcier doit être considéré dans son contexte.

Association Louis Bégouën
Propriété, conservation, étude des Cavernes du Volp
Pour en savoir plus : www.cavernesduvolp.com


À trois mètres culmine le dieu cornu.

Le livre de l’association Louis Begouën est pour l’instant la meilleure façon de vister la grotte, une véritable merveille où l’on découvre l’ensemble du Volp, des Trois frères, et d’Enlène en photos.

Ce sanctuaire abrite plusieurs panneau, c’est une véritable symphonie.

Il y a le panneau du mammouth,

Celle du grand phallus et de la la vulve qui l’abrite

Le grand panneau révèle un aspect extraordinaire*4 d’un animal formé de la multitude des autres :

On comprend alors que l’on ne peut interpreter un animal seul sans son contexte car sa position fait sens, tant dans l’espace que dans son rapport aux autres que l’accumulation complexifie.

Il y a l’apparition d’éléments qui ne sont pas….

Comment interpréter ces représentations? Est-ce que ce sont des organes? y a t’il un foetus, y a t’il un punk dont l’aile est prolongée d’un phalus? s’agit il de mutations?…

La seule solution est de tenter de modéliser ce que l’on voit sans tenter d’interpréter…. ce qui est impossible à nos cerveaux tels qu’ils sont configurés, car nous tentons de rationaliser, et quelle est l’autre possibilité quand on cherche à comprendre on tente d’aller à l’essentiel, mais nous réfléchissons avec notre culture, notre éducation….. Il faudrait probablement faire plus confiance à nos deux hémisphères pour ne pas vouloir résumer notre prospection à quelque chose de simplement plausible….

Trois parties d’animaux se superposent, et une multitude de pattes sont difficiles à attribuer, des arrière train seuls des simulacres de masques ou de naseaux, ou de ventres….. simulacres ou vision d’une forme en évolution, un déroulé temporel, ou une vue multi-point de vue??

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